Voilà, la phase de groupe est terminée, révélant ses nations élues (Pays-Bas, Danemark, Allemagne, Suède, France, Autriche, Angleterre, Espagne) et ses recalées (Norvège, Belgique, Italie, Russie, Suisse, Islande, Portugal, Écosse)…
Des surprises ? Une et demi chez les premières (Autriche et, à un degré moindre, Danemark), une chez les secondes (Norvège).
Les quarts de finale qui seront joués ce week-end (samedi et dimanche) sont alléchants et très indécis.
Penchons-nous sur le quatrième.

Dimanche 20h45

ANGLETERRE FRANCE

ANGLETERRE

On ne saurait parler de surprise devant l’excellent parcours des Anglaises dans cet Euro. La sélection de Mark Sampson reste sur une 3e place à la Coupe du Monde au Canada (2015), sans avoir pu jouer les J.O. de Rio l’année suivante pour cause de règlement. Si l’on a beaucoup parlé – à juste titre – de la belle victoire française sur les USA à la SheBelievesCup (3-0), il ne faut pas oublier que les Anglaises avaient ait de même juste avant dans la compétition (1-0).

Les Lionnesses présentent aujourd’hui un visage bien différent de celui vu pendant des années sous la direction de Hope Powell. A l’instar d’autres sélections (Pays-Bas ou Canada notamment), celle d’Angleterre ne se contente plus de déployer un gros impact physique. Les joueuses ont beaucoup évolué techniquement, elles sont au top tactiquement, plus joueuses, et d’un grand réalisme. L’Angleterre est certainement l’équipe qui a le plus impressionné en poule. Un tonitruant succès sur une faible Écossé totalement dépassée (6-0), un deuxième plein de maturité et de sérénité face à une Espagne ne sachant quoi faire de sa possession de balle (2-0), et un autre sans grande saveur face au Portugal (2-1) avec une équipe entièrement remaniée pour reposer les titulaires, voilà qui a installé tranquillement – si ce n’était déjà le cas – cette équipe parmi les grandes favorites.

Numéro 4 mondial au classement de la FIFA (et 3e européenne à celui de l’UEFA), les Anglaises vont trouver sur leur chemin leur bête noire, la France, qu’elles n’ont plus battue depuis 43 ans (1974) ! L’élimination aux tirs au but en quart de finale de la CM 2011 est toujours dans leur mémoire. Mais si les Bleues semblent invincibles, les matchs entre les deux nations sont toujours très serrés, à l’exception d’un 3-0 en poule à l’Euro 2013. Les Anglaises rêvent donc de mettre un terme à ce long tunnel, comme elles l’avaient fait avec l’Allemagne en 2015 pour le match de classement de la CM. Pour cela, elle peut s’appuyer sur son traditionnel mental. Les Anglaises sont des guerrières qui, dans la tradition des sportifs/ves de ce pays, ne baissent jamais les bras et donnent tout ce qu’elles ont. Leur détermination et leur résistance physique les poussent toujours autant à mettre de l’impact physique et à rechercher les duels. Les Bleues avaient pris une sacrée leçon à la SheBelievesCup tout la première période, totalement submergées par des Anglaises qui ne les laissaient pas respirer. Les Françaises avaient été très heureuses de s’imposer en toute fin de match (2-1), maintenant la malédiction vivante…
Mais à cela, les joueuses de Mark Sampson ajoutent d’autres éléments. Celui de la vitesse, par exemple, qui leur permet de se projeter très vite vers l’avant en contres souvent fatals pour l’adversaire. Car si l’Angleterre est joueuse, elle ne rechigne pas à laisser le ballon à l’adversaire lorsqu’elle sait cela inévitable, comme face à l’Espagne.

Elle s’appuie alors sur une défense solide. Dans les buts, la gardienne de Manchester City Karen Bardsley n’est pas toujours une assurance tous risques absolue, mais elle sait sortir de gros matchs et ses parades spectaculaires.
Devant elle, à droite, l’Angleterre bénéficie de sans doute la meilleure arrière droite au monde : Lucy Bronze, elle aussi une Citizen. Très véloce, extrêmement résistante, Bronze est une défenseure intraitable, mais aussi une conte-attaquante de premier ordre. Son superbe jeu de tête en fait aussi un danger constant pour les défenses adverses sur coups de pied arrêtés. Si elle est moins exceptionnelle, Demi Stokes (Man City aussi), son pendant à gauche, possède à peu près les mêmes qualités, le jeu de tête en moins. Dans l’axe, règne la capitaine Steph Houghton (oui, une autre Mancunienne !) à l’excellent jeu de tête et redoutable dans les frappes sur coup-francs. Elle constitue aussi un exemple pour ses équipières par son côté guerrier. Mark Sampson a privilégie depuis plusieurs matchs Millie Bright pour lui tenir compagnie dans l’axe, plutôt que Bassett ou l’ancienne Stoney (35 ans). Bright – seule non joueuse de City en défense – évolue à Chelsea. Grande, très puissante, elle s’est vraiment imposée dans cet Euro, alors qu’elle y est arrivée avec moins de 10 sélections au compteur.

Le milieu de terrain est une grande force de l’équipe, avec deux pures récupératrices : d’abord la grande Jill Scott, pilier de Manchester City et de l’équipe nationale avec plus de 125 sélections. Infatigable, dure à l’impact, redoutable dans le jeu aérien, Scott est vraiment l’un des éléments essentiels de l’équipe. L’autre récupératrice est Jade Moore qui évolue au sein du moins réputé Reading. Joueuse de l’ombre et de devoir, elle contribue grandement à la stabilité de l’équipe. La troisième membre du milieu est Jordan Nobbs. Élue meilleure joueuse du dernier championnat anglais, la meneuse d’Arsenal est apparue en pleine forme depuis le début du tournoi. Très technique, dotée d’une vision du jeu au-dessus de la moyenne, d’un sens du placement et d’une frappe qui font souvent la différence, Nobbs est toujours celle par qui le danger viendra à un moment ou un autre.

Devant, le trio semble-t-il titulaire dans l’esprit de Sampson est composé de Ellen White, Jodie Taylor et Fran Kirby… La première, Ellen White (Birmingham) revenue de longues blessures, est en train de retrouver tout le talent qui avait fait d’elle l’un des plus grands espoirs anglais en 2012-2013. Très intelligente, rapide, sens du but, collective, elle réussit son Euro en se baladant sur tout le front de l’attaque… Jodie Taylor, qui joue aux USA à Portland, est la canonnière de cet Euro avec déjà 4 buts (un triplé contre l’Écosse, un but contre l’Espagne). Non seulement, elle marque, mais ses buts ne sont pas de raccroc, mais de grande facture. Attention à elle, celle qui fut longtemps en dehors de la sélection sous Hope Powell veut rattraper le temps perdu (27 sélections et 13 buts à 31 ans)… Enfin, le petit lutin de Chelsea Fran Kirby. Peut-être la joueuse la plus douée de l’effectif, atypique, Kirby est un joyau revenant elle aussi de longue blessure. Rapide, excellente dribbleuse, dotée d’une grande vision de jeu et d’une passe très précise, Kirby est aussi très intelligente et redoutable. Son but inscrit après à peine plus d’une minute de jeu contre l’Espagne la résume assez bien.

Et Mark Sampson peut s’appuyer sur un banc expérimenté et talentueux, à l’image de la milieu de terrain d’Arsenal Fara Williams (recordwoman des sélections, plus de 160), sa capitaine en club Alex Scot (140 caps, devenue la doublure de Bronze), Bassett, Stoney ou Greenwood derrière, la petite mais très bonne Isobel Christiansen au milieu, l’ailière Karen Carney – l’une des plus douées de l’effectif avec ses 130 sélections –, Toni Duggan, pure avant-centre qui vient de signer pour le Barça et capable de buts venus d’ailleurs, ou encore l’explosive Nikita Parris.

On le voit, l’Angleterre a beaucoup d’arguments en sa faveur, et la tâche des Bleues ne s’avère pas simple…

FRANCE

Les Bleues se réveilleront-elles enfin à l’occasion de ce quart de finale et au contact d’Anglaises qu’elles connaissent sur le bout des doigts ? Entrées dans la compétition avec le statut de grande favorite, la France n’a fait que décevoir dans le jeu, malgré sa qualification.
Elle a d’abord souffert plus que normalement contre une équipe islandaise très physique et déterminée, ne s’imposant que par la grâce d’une pénalty obtenu à cinq minutes de la fin, et alors que l’Islande s’en était injustement vu refuser un en fin de première période. Puis ce fut un nouveau match raté contre l’Autriche, où les Bleues furent encore bousculées, menées au score, avant de revenir grâce à un coup de tête rageur de Henry sur corner et surtout une sortie ratée de la gardienne autrichienne. Enfin, elles frôlèrent longtemps l’élimination devant la Suisse, courant encore derrière le score et n’égalisant que sur un coup-franc direct d’Abily et une grossière faute de main de la gardienne helvète.
Alors, si les Bleues ne baissèrent jamais les bras dans aucun des trois matchs, ce qui doit être porté à leur crédit, leur niveau de jeu fut bien trop insuffisant, presque toujours médiocre, parfois indigent.

Dans les buts, l’inamovible Sarah Bouhaddi (Lyon), fidèle à ses habitudes, alterna le bon et le mauvais, notamment dans ses relances. En défense, Jessica Houara (Lyon) fut catastrophique contre l’Autriche, puis entrée en jeu contre la Suisse, très moyenne. Eve Périsset (PSG), plutôt intéressante, est suspendue pour ce quart de finale, ayant été exclue contre la Suisse (faute en dernière défenseure). Sakina Karchaoui, la troisième arrière latérale de l’effectif, a du talent, mais s’st avérée trop « légère » contre la Suisse dans un match musclé. La charnière centrale sera privée de la capitaine Wendie Renard (Lyon) qui a pris un 2e jaune contre la Suisse. Cette absence constituera un très gros handicap, Renard étant l’une des meilleures spécialistes au monde à son poste et, même si ce ne fut pas le cas dans les matchs précédents de l’Euro, représente toujours un danger pour l’adversaire par sa taille (187 cm) et son jeu de tête sur coups de pied arrêté. Laura Georges (PSG) et Griedge M’Bock (Lyon) devraient être associées. L’ancienne et le nouveau « roc » du football féminin français. Intraitables dans les duels, très bonnes dans le jeu aérien, il leur faudra s’appliquer dans la relance qui n’est pas forcément leur point fort…

Au milieu, deux joueuses sont assurées de débuter le match avec le sélectionneur Olivier Echouafni : Amandine Henry (Portland) et Camille Abily (Lyon). Henry, remarquable contre l’Autriche, est indispensable à la récupération et dans les projections offensives. Joueuse et personne ayant mûri, la – sans doute – future joueuse du PSG, n’hésite plus à se comporter en véritable leader dans cette équipe, montrant l’exemple par sa combativité et sa détermination… Abily, elle, si elle possède toujours sa vision du jeu et son exceptionnelle technique qui en fait une joueuse redoutable pour tirer les coups de pied arrêté, ainsi que le sens de la passe juste, se trouve en grande difficulté dès que le match est très physique et rapide, n’ayant plus ni ses jambes, ni son « peps » d’il y a encore deux ou trois ans en arrière. Elle a été régulièrement en grande difficulté dans le jeu depuis le début de cet Euro, contre l’Islande et la Suisse, ne se montrant à son avantage que contre l’Autriche où elle était entrée en fin de match… Nous verrons si le sélectionneur privilégie pour leur tenir compagnie à la récupération l’expérimentée, mais aujourd’hui trop souvent dépassée, Elise Bussaglia (nouvelle joueuse du Barça), ou la jeune et surdouée Grace Geyoro (PSG) dont toutes les apparitions ont été très concluantes. Cette dernière, au jeu plein de sang-froid et de maturité, à l’excellente vision du jeu et aux passes toujours précises, est la véritable pépite de cette équipe, promise à tout juste 20 ans au plus brillant avenir.

Je regrette quant à moi que la confiance du sélectionneur ne se porte pas aussi sur la Montpelliéraine Sandie Toletti, elle aussi très douée, récompensée à multiples reprises en sélection jeune et toujours ignorée, malgré sa présence dans l’effectif…

Sur les ailes, Echouafni a le choix entre la Lyonnaise Elodie Thomis qui, si elle conserve une grande pointe de vitesse, ne fait plus systématiquement la différence, et se montre touours aussi imprécise dans la majorité de ses centres. Dans un match où chaque joueuse devra se transformer en guerrière aussi bien en attaque qu’en défense, pas certain que Thomis soit le meilleur choix… D’autant que la jeune Kadidiatou  Diani (tout juste transférée de Juvisy au PSG) a été excellente contre la Suisse, dans ces deux secteurs. Elle aussi très rapide, bonne dribbleuse, très collective, défendant très, très bien, bonne de la tête et dans ses frappes, Diani me semble un choix évident.
A gauche, l’équipe n’a pas de spécialiste, et le sélectionneur y aligne à tour Clarisse Le Bihan (MHSC) ou Claire Lavogez (Lyon) deux jeunes talentueuses, joliment techniques, mais qui sont bien davantage des 9,5 que des ailières…
Au poste d’avant-centre, la Lyonnaise Eugénie Le Sommer sera sans doute préférée à la Parisienne Marie-Laure Delie, d’autant que cette dernière est en difficulté dans cette équipe depuis déjà de longs mois, même si son jeu de remises dos au but est loin d’être improductif. Le Sommer est sans conteste l’une des attaquantes les plus douées au monde, mais son Euro est très décevant. Trop individualiste, manquant de discernement et de variété dans son jeu, elle passe pour l’instant à côté de la compétition…
Enfin, reste le cas de Gaétane Thiney. Écartée par Philippe Bergeroo pour des raisons bien mystérieuses après la Coupe du Monde 2015, revenue en grâce avec Olivier Echouafni, la Juvisienne est avec Abily la joueuse la plus technique de l’équipe. Très résistante au mal et donc en duel, elle possède un sens de la passe dans les petits espaces et dans les intervalles que peu ont. On la sent néanmoins encore un peu bridée depuis son retour. Un ou deux buts ou autant de passes décisives la libèreraient certainement.

Quel visage présentera cette équipe de France ? Bien malin qui peut le dire. Elle est souvent brillante lorsqu’on n’en attend rien ou au pied du mur. C’est bien ici le cas. Alors, montrons-nous (modérément, quand même) optimistes, en espérant qu’elles maintiendra le signe indien porté sur l’Angleterre et qu’elle saura vaincre du même coup la malédiction d’une élimination en quart de finale (2013, 2015, 2016)…

Philippe Serve